Le dialogue social pour des marchés du travail stables et adaptables en Espagne
L’augmentation des formes d’emploi atypiques a été particulièrement importante en Espagne, où un employé sur quatre est embauché comme travailleur temporaire. En tant que partenaire de Global Deal, le gouvernement espagnol s’est engagé à faire progresser le travail décent en réduisant considérablement le recours aux formes d’emploi temporaire.
Dans le cadre de cet engagement, l’Espagne a conclu en décembre 2021 un accord tripartite visant à réformer le droit du travail et à promouvoir le recours aux contrats à durée indéterminée.
Contrairement à la législation précédente, l’accord tripartite a marqué un net changement de préférence en faveur de l’utilisation de contrats à durée indéterminée pour promouvoir des relations de travail stables. Ce changement fondamental d’orientation du droit du travail est le résultat de plusieurs mesures :
- La nouvelle loi présume que les contrats de travail sont conclus pour une durée indéterminée et demande aux employeurs qui prétendent qu’un contrat particulier devrait être temporaire de fournir des preuves plus nombreuses et de meilleure qualité.
- La pratique consistant à enchaîner les contrats temporaires pour couvrir des travaux réguliers et récurrents est désormais limitée. Désormais, tout travailleur qui effectue une succession de contrats de travail temporaire pendant 18 mois sur 24 aura droit à un contrat à durée indéterminée. Ce seuil était plus élevé sous le précédent règlement, qui donnait droit aux travailleurs à des contrats à durée indéterminée après 24 mois de travail dans une période de 30 mois.
- La nouvelle loi réduit également le nombre de contrats temporaires pour une entreprise. Hormis les contrats de formation, d’apprentissage et de stage, seuls deux autres types de contrats temporaires seront autorisés : soit pour remplacer un travailleur temporairement absent, soit pour faire face à des circonstances de production occasionnelles.
- Le contrat pour un travail ou un service spécifique, précédemment critiqué par la Cour suprême d’Espagne, a été abrogé à partir du 30 mars 2022. Ce contrat temporaire était utilisé par les employeurs pour lier les contrats de travail de leur personnel aux contrats commerciaux qu’ils avaient avec leurs clients. Les contrats de travail seraient résiliés lorsque la demande des clients n’existerait plus.
- Enfin, les contrats de travail temporaires de courte durée sont découragés par le recours à des sanctions financières.
En plus d’encourager le recours aux contrats à durée indéterminée, le nouvel accord tripartite vise également à fournir aux entreprises d’autres options pour adapter leur main-d’œuvre à l’évolution des circonstances.
L’une de ces mesures consiste à promouvoir le « contrat fixe -discontinu » (contrato fijo-discontinuo), qui peut être utilisé pour tous les types d’emplois structurels, mais effectués uniquement pendant certaines parties de l’année. La nouvelle mesure vise à attirer de nombreux emplois précédemment effectués par le biais du contrat pour un travail ou un service spécifique vers le contrat fixe-discontinu, y compris ceux offerts par les agences de travail. En conséquence, les entreprises pourront plus facilement adapter leurs utilisations de la main-d’œuvre aux fluctuations de la demande.
- L’accord garantit que la flexibilité offerte aux entreprises est équilibrée par des mesures assurant la stabilité des travailleurs. Il est important de noter que cela implique d’accorder aux travailleurs l’accès aux allocations de chômage pendant les périodes d’inactivité.
- Un cadre de dialogue social pour gérer ce contrat a également été convenu. Une entreprise utilisant ce type particulier de contrat devra informer les représentants légaux des travailleurs au début de chaque année de son intention d’utiliser cette forme de travail. Elle devra également déclarer les périodes pendant lesquelles les travailleurs ont effectivement été engagés dans des contrats fixes-discontinus.
Pour améliorer la capacité d’adaptation des entreprises, l’accord tripartite met également en place de nouveaux moyens permettant aux entreprises d’éviter les licenciements coûteux en temps de crise. Par exemple, un nouveau dispositif de chômage partiel, le mécanisme de flexibilité et de stabilisation de l’emploi, a été adopté. Il comporte deux modalités :
- Si l’entreprise est confrontée à des difficultés conjoncturelles, le chômage partiel peut être introduit pour une durée maximale d’un an.
- Lorsque la baisse de la demande des entreprises est permanente et concerne un ou plusieurs secteurs entiers, un plan de formation pour les travailleurs nécessitant une transition professionnelle et une reconversion intensive doit être élaboré.
Les faits montrent que la réforme a déjà produit des résultats :
- En avril 2022, jusqu’à 700 000 des 1 450 000 (48,7%) nouveaux contrats de travail signés ce mois-là étaient des contrats à durée indéterminée. Il s’agit d’une rupture de tendance par rapport au passé : pendant plus de trois décennies, la part des contrats à capital variable a oscillé autour de 10%.
- Comparativement à la moyenne entre 2015 et 2021, la part des contrats à durée indéterminée par rapport à l’emploi total a augmenté de 7 points de pourcentage, pour atteindre 77% en avril 2022.
- La part des contrats temporaires de très courte durée (contrats journaliers et contrats de deux à sept jours) s’est effondrée, passant de 75,8% en moyenne sur 2017-19 à 28% en avril 2022.
- Alors que les années précédentes, seuls 8% des contrats signés depuis le début de l’année étaient encore valables en mars, ce chiffre atteint désormais 46,7%.
- En utilisant des techniques de régression économétrique, les résultats montrent que la réforme a favorisé la création de 286 000 contrats à durée indéterminée supplémentaires au premier trimestre de 2022, sans pour autant freiner les performances globales en matière d’emploi.
Principaux enseignements
L’accord tripartite récemment conclu en Espagne illustre de manière frappante le rôle positif que peut jouer le dialogue social dans la gestion du recours aux formes d’emploi atypiques et la lutte contre la précarisation du travail.
Le dialogue social produit donc des résultats « gagnant-gagnant-gagnant » :
Les travailleurs sont plus en sécurité, car ils peuvent compter sur des contrats de travail et des relations d’emploi plus stables.
Les entreprises, tout en bénéficiant également d’une main-d’œuvre plus stable, ont la possibilité d’adapter l’organisation du travail aux changements du marché.
Les gouvernements n’ont plus à craindre que des chocs économiques négatifs entraînent une restructuration massive de l’emploi et une hausse soudaine du chômage.
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Téléchargez le Global Deal Flagship Report 2022 pour consulter la version complète de cette étude de cas, ainsi que 12 autres portant sur le travail effectué par les partenaires du Global Deal et les engagements volontaires pris pour promouvoir le dialogue social visant à relever les défis du marché mondial du travail.